FONTE DE L’ANTARCTIQUE : UN POINT DE BASCULE CLIMATIQUE SE PROFILE
- Théophile Jouassain
- 2 sept.
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Dernière mise à jour : 3 sept.
L’Antarctique est au cœur de transformations rapides et interconnectées qui pourraient avoir des conséquences planétaires. Selon une étude publiée dans Nature, la banquise recule, les glaciers de l’Ouest s’affaiblissent et les courants océaniques ralentissent. Nerilie Abram, auteure principale de l’étude, alerte : « Certains de ces changements abrupts seront difficiles à arrêter et auront des effets pour les générations à venir. »

L’Antarctique a-t-il résisté au réchauffement ?
Pendant longtemps, l’Antarctique a donné l’impression d’être relativement épargné par le réchauffement climatique. La calotte Est-Antarctique, immense et très froide, a montré une fonte limitée et, dans certaines zones, une accumulation de neige compensant partiellement les pertes ailleurs.
Une stabilité temporaire qui a masqué la vulnérabilité des régions plus exposées.
La péninsule antarctique et la calotte Ouest-Antarctique sont beaucoup plus sensibles : la première figure parmi les zones les plus rapidement réchauffées de la planète, tandis que la seconde est proche d’un basculement irréversible.
Les recherches récentes montrent que l’ensemble du continent subit désormais des changements rapides et interconnectés, avec recul de la banquise, fonte des glaciers et perturbation des courants océaniques.
La « résistance » apparente de certaines zones était donc partielle et temporaire.
Des signaux d’alerte multiples
Si la fonte des glaces en Antarctique est observée depuis des décennies, les scientifiques mettent en avant l’évolution de plusieurs indicateurs particulièrement alarmants ces dernières années.
Parmis eux, les effondrements de glace spectaculaires qui ont été observés, notamment l’effondrement partiel du glacier Thwaites, surnommé le « glacier de l’apocalypse ».
Des blocs de plusieurs kilomètres cubes s'en détachent régulièrement, un signal clair que le continent pourrait entrer dans un régime de fonte accélérée et incontrôlable.
Parallèlement, des records de température sont battus sur la péninsule antarctique et dans certaines parties de la calotte Ouest, accélérant la fonte de surface et fragilisant la structure des glaciers.
Ces phénomènes ne sont pas isolés : ils s’inscrivent dans un réseau de changements interconnectés comprenant le recul de la banquise flottante et le ralentissement des courants océaniques qui redistribuent chaleur et nutriments dans le monde.

Boucles de rétroaction et amplification du réchauffement
La fonte des glaces en Antarctique ne se limite pas à la disparition de glace : elle déclenche des mécanismes qui accélèrent eux-mêmes le réchauffement, créant une boucle de rétroaction qui pourrait pousser le continent vers un point de bascule irréversible.
L’un de ces mécanismes est la réduction de l’effet albédo : moins de glace signifie que l’océan absorbe davantage l’énergie solaire sous forme de chaleur, alors que la glace aurait réfléchi ces rayons et contribué à refroidir la surface.
Parallèlement, le ralentissement de la circulation océanique antarctique, essentielle à la redistribution mondiale de la chaleur et des nutriments, menace de perturber durablement les climats régionaux et globaux.
Comme le rappelle Nerilie Abram : « Une fois que nous commençons à perdre de la glace, ce processus s’auto-entretient. Même si nous stabilisons le climat, nous continuerons à perdre de la banquise sur plusieurs siècles.
Une incertitude majeure sur l’ampleur des impacts
Malgré ces observations alarmantes, l’ampleur exacte de la fonte de l’Antarctique et ses conséquences restent incertaines.
Certains points de bascule pourraient déjà être franchis, mais il est difficile de prévoir précisément quand et à quel rythme la calotte glaciaire s’effondrera.
Les modèles climatiques donnent des estimations très variables, allant de quelques dizaines de centimètres à plusieurs mètres de montée du niveau de la mer d’ici 2100, selon les scénarios d’émissions et la réponse des océans.
Comme le rappelle un rapport de la conférence australienne sur l’Antarctique : « Il est très probable que le monde ne soit pas préparé pour ce que les scientifiques polaires nous avertissent… la montée catastrophique du niveau des mers est possible de notre vivant. »
Cette incertitude renforce l’urgence d’agir rapidement pour limiter le réchauffement global et freiner la fonte des glaces.
Conséquences globales pour les océans et la biodiversité
La fonte de l’Ouest-Antarctique pourrait provoquer une élévation du niveau de la mer de trois mètres, tandis que l’ensemble du continent pourrait contribuer à une montée des eaux de six mètres.
Les villes côtières sont directement menacées : Miami, New York, Jakarta, Shanghai ou Ho Chi Minh City pourraient voir leurs littoraux submergés dès les prochaines décennies.
La biodiversité subit également de lourdes pertes. Les colonies de manchots empereurs déclinent rapidement, et les populations de krill et de phytoplancton, piliers de la chaîne alimentaire marine et du cycle du carbone, sont gravement fragilisées.
Des perturbations qui pourraient avoir des effets en cascade sur l’ensemble de l’écosystème océanique.
Un appel urgent à l’action
Face à cette situation alarmante, les scientifiques insistent sur la nécessité de réduire rapidement et massivement les émissions de gaz à effet de serre.
Si limiter le réchauffement à 1,5 °C, conformément à l’accord de Paris est aujourd'hui plus qu'improbable, se rapprocher de cet objectif reste le seul moyen de diminuer le risque de changements trop abrupts.
Cependant, certains processus sont déjà enclenchés et continueront sur plusieurs siècles.
Le Potsdam Institute for Climate Impact Research rappelle : « Il ne faut que quelques décennies pour déstabiliser une calotte glaciaire, alors qu’il en faut des dizaines de milliers pour la construire. »