top of page

LE CANADA OPÈRE UN VIRAGE CLIMATIQUE DRAMATIQUE

  • Photo du rédacteur: Théophile Jouassain
    Théophile Jouassain
  • il y a 13 minutes
  • 4 min de lecture

Alors qu’il arrivait au pouvoir avec une réputation de leader en matière climatique, le nouveau premier ministre Mark Carney était perçu comme un dirigeant capable d’accélérer la réduction des émissions dramatiquement élevées  du pays. Mais en l’espace de quelques semaines, Ottawa a annoncé une série de reculs climatiques majeurs, remettant en question les discours tenus à l’ONU qui promettaient une action climatique canadienne ambitieuse. Certains s'interrogent sur l’influence possible des lobbys du pétrole et du gaz sur ce nouveau gouvernement, à l’instar de ceux qui  l’ont précédé.


ree

Un premier ministre attendu comme champion du climat


Jusqu’ici, Mark Carney était l’une des rares figures de la haute finance à avoir intégré avec constance le risque climatique dans la gouvernance économique mondiale. 


Ancien gouverneur de la Banque du Canada puis de la Banque d’Angleterre, il incarnait pour beaucoup une sortie d’homme providentiel : celui qui saurait relancer l’économie du Canada tout en accélérant la transition énergétique du pays.


Son arrivée au pouvoir semblait ouvrir la voie à une série de mesures concrètes : renforcement de la tarification carbone, électrification massive des transports, et baisse ambitieuse des émissions du secteur pétrolier et gazier.


Son image internationale de technocrate rigoureux, lucide sur l’urgence climatique, laissait même espérer un leadership capable de rivaliser avec les pays nordiques ou la Nouvelle-Zélande.


Après tout, un Canada enfin aligné sur les discours climatiques qu’il tient depuis des années sur la scène internationale.



Des reculs inattendus sur les politiques climatiques


La rupture vient de l’Ouest. 


Fin novembre, Ottawa signe un accord avec l’Alberta qui met de côté le futur plafond d’émissions pour l’industrie pétrolière et gazière. Concrètement, ce plafond devait limiter la quantité totale de CO₂ que le secteur serait autorisé à émettre, un instrument central pour forcer une baisse progressive de la pollution. 


Un abandon qui représente un virage majeur dans la stratégie climatique du pays, alors que ce secteur représente à lui seul presque un tiers des émissions du Canada.


Dans le même accord, les règles sur l’électricité propre, qui visaient à pousser la province à réduire son recours au charbon et au gaz dans la production d’électricité, sont également assouplies. L’Alberta obtient ainsi plus de temps et moins de contraintes pour nettoyer son réseau électrique.


Quelques jours plus tard, une autre annonce vient un peu plus appuyer l’idée d’un recul généralisé. 


Selon Reuters, le régulateur albertain a cessé de faire respecter la limite de torchage, c’est-à-dire la quantité maximale de gaz naturel que les compagnies ont le droit de brûler en torchère  — procédé extrêmement polluant —plutôt que de capter.

Ce plafond existait depuis vingt ans. Pourtant, en 2024, la province l’avait déjà dépassé de 36 %, brûlant 912,7 millions de m³ de gaz. Des courriels internes citent une volonté politique d’adopter une approche « plus collaborative » avec l’industrie, ce qui, en langage commun, correspond tout simplement à moins d’encadrement.


Le choc politique devient national lorsque Steven Guilbeault, ancien ministre de l’Environnement et figure respectée du mouvement climatique, démissionne en dénonçant un « recul irresponsable ». Une prise de position publique inhabituelle, qui révèle une fracture interne au gouvernement sur l’orientation climatique du pays.


Même Elizabeth May, cheffe du Parti vert, critique désormais ouvertement la direction prise : elle a reconnu qu’appuyer le budget contenant ces assouplissements fut « une erreur » qu’elle ne commettra plus — un signal supplémentaire que la crédibilité climatique du gouvernement vacille.



L’excuse économique pour justifier l’inaction climatique — ou le poids des intérêts privés ?


Le gouvernement répète qu’un contexte économique fragile impose de ménager l’industrie pétrolière, toujours responsable de milliards de revenus et d’emplois. 


Trop de régulation, assure Ottawa, ferait fuir les investissements et affaiblirait la compétitivité du pays. En clair : protéger l’économie d’aujourd’hui, même si cela ralentit la transition de demain.


Un argument qui ressemble de plus en plus à une formule politique qui sert à couvrir l’influence du secteur fossile


Laure Waidel, écosociologue interrogée sur les ondes de LCN, questionne le revirement du Premier ministre par rapport à son engagement climatique : «On dirait qu’il a complètement oublié les connaissances qu’il détenait. C’est troublant. Moi, j’ai l’impression que le lobby pétrolier gazier joue un rôle extrêmement important».


Rappelons que le secteur fossile, le lobby le plus structuré, le plus actif et le plus influent en matière de politique énergétique et climatique au Canada, dispose des moyens financiers et d’un accès institutionnel pour peser fortement dans les décisions publiques.


En 2024, l’industrie des combustibles fossiles n’a eu pas moins de 1 135 rencontres officielles avec des responsables fédéraux, soit l’équivalent de plus de quatre visites de lobbyistes par jour ouvrable.


Derrière le discours économique, c’est donc un choix politique qui se dessine : préserver les intérêts privés les mieux organisés, au détriment d’une trajectoire climatique crédible.



Un choix qui fragilise la crédibilité climatique du Canada


Le Canada maintient officiellement sa cible de neutralité carbone d’ici 2050, mais l’abandon du plafond d’émissions et l’assouplissement des règles sur l’électricité compliquent fortement l’atteinte de cet objectif. 


Comment le pays pourrait-il espérer réduire ses émissions sans freiner une industrie qui reste responsable d’une part majeure de sa pollution, et dont l’influence sur la décision publique devient manifeste ?


Les chiffres du torchage en Alberta envoient déjà un signal inquiétant. Un expert interrogé par Reuters rappelle : « On ne peut pas à la fois vouloir réduire les émissions et fermer les yeux sur la hausse du torchage. » L’image qui se dégage est celle d’un Canada rattrapé par les réalités économiques, où les promesses climatiques semblent céder devant les intérêts du secteur fossile.


Aujourd’hui, le pays apparaît pris entre deux impératifs contradictoires : protéger une économie encore dépendante des hydrocarbures tout en prétendant jouer un rôle de leader climatique. Le virage opéré par le gouvernement Carney — inattendu pour un dirigeant réputé « vert » — révèle combien cet équilibre reste fragile.


Cette séquence montre surtout que la bataille climatique ne se gagne pas uniquement par les discours, mais par la cohérence et la crédibilité des décisions, même impopulaires. 


Pour l’instant, le Canada semble reculer là où il avait promis d’avancer.



 
 

ARTICLES RÉCENTS

bottom of page